Savez-vous que dans notre jardin, les plantes voyagent ? Au début, cher jardinier du Bizardin, tu avais une idée arrêtée sur sa physionomie, tu faisais des plans, tu croyais que tu serais maître des lieux et tu luttais avec ton couteau désherbeur contre le cirse des champs, cet « affreux chardon » qui se répand partout.

Maintenant tu regardes avec étonnement les plantes apparaître, puis disparaître sans que tu y sois pour quelque chose. Tu apprends à regarder, à laisser faire, tu supportes puis tu aimes les « mauvaises herbes » qui viennent squatter les plantations des années précédentes… Tu contemples davantage et tu jardines moins. Le Bizardin devient par endroits « un espace de friche laissé au libre développement des plantes qui s’y installent » (2). Les jardiniers l’apprivoisent, défrichent des parcelles, diversifient les plantations, sèment fleurs et légumes, limitent ronces et orties et tondent de larges allées deux fois par an.

Le jardin change au fil des années. Chaque printemps, la surprise est au rendez-vous : cette année en février, tu vois du tussilage, le pas-d’âne, par grandes places, fleurs jaunes à ras du sol auprès du bouleau. Ses graines, petits parachutes emportés par le vent, font le bonheur des chardonnerets qui en tapissent leur nid. Tiens, le fenouil sur la Butte de l’entrée n’est plus à la même place que l’année dernière ! Et un sureau que tu n’as jamais planté pousse là, sans gêne ! Là-bas, sur la Butte rouge, il y avait plein de coquelicots. Tu retournes la terre pour planter un petit églantier, et les revoilà ! Les soucis se baladent dans le potager, le chardon Marie de l’année dernière a disparu du carré des médicinales, puis il apparaît à l’autre bout ! Quant au carré « médiéval », il a changé de figure. La jolie brunelle violette venue on ne sait d’où par la grâce du vent ou des oiseaux prend ses aises, enserre les campanules, comme la linaire jaune ou chasse venin apparue l’année dernière, adorée des gros bourdons qui parviennent à la pénétrer ; la marjolaine dorée s’étale vraiment trop, la mélisse résiste encore… La petite pimprenelle s’installe n’importe où, et la belle knautie des champs mauve, très courtisée par les papillons, devient la reine du deuxième carré.

La fameuse herbe aux goutteux, Aegopodium podagraria, cauchemar du jardinier, qui soignait au Moyen Âge la goutte des évêques trop bons vivants, a pris le relais du cirse des champs, il y en a partout ; au secours, Gilles, il nous envahit ! Mais c’est une plante au goût agréable qui rappelle l’épinard ! Le jardinier adepte du jardin naturel se console comme il peut… Il coupera ses ombelles avant qu’elles grainent et il sèmera le tagète minuta qui pourrait soi-disant la contrôler…

« Regarder pourrait bien être la plus juste façon de jardiner demain » **.

Christiane VERNAY

Parution initiale dans le magazine des AJONC

L’Echo des brouettes n° 11 – Printemps Automne 2011

* Gilles Clément est architecte paysagiste, il est à l’origine du concept de jardin en mouvement et auteur du livre  ** « La sagesse du jardinier »
http://www.gillesclement.com/cat-mouvement-tit-le-Jardin-en-Mouvement